Dans une affaire traitée par une chambre à trois juges, le Conseil a été amené à se prononcer sur la problématique du traitement de la population palestinienne de la bande de Gaza par l’Etat d’Israël au regard des considérations développées par l’association Nansen dans son rapport intitulé « Nansen Note 2022/2. Besoin de protection des Palestiniens de Gaza » d’août 2022, fondé sur une analyse du rapport d’Amnesty International de février 2022 qui dénonce les mesures discriminatoires prises par l’Etat d’Israël à l’égard des Palestiniens de la bande de Gaza et les qualifie de crime d’apartheid.
En effet, dans cette affaire, à la suite du dépôt par la partie requérante dudit rapport Nansen, le Conseil a rouvert les débats afin de traiter l’affaire en chambre à trois juges et a invité les parties à réagir au contenu de cette note. Malgré l’absence de développements relatifs aux agissements de l’Etat d’Israël au regard de l’article 48/3 de la loi du 15 décembre 1980 dans la décision attaquée ou dans la requête (les deux parties développant leurs arguments relatifs à la situation socioéconomique et humanitaire qui prévaut actuellement dans la bande de Gaza et, sous cet angle, l’impact du blocus israélien sur ladite situation, uniquement dans le cadre de l’examen d’un éventuel octroi du statut de protection subsidiaire), le Conseil estime, au vu du contenu de la note Nansen, qu’il convient d’examiner cette question comme étant le fondement d’une crainte de persécution dans le chef du requérant en cas de retour dans la bande de Gaza.
Sous l’angle de l’article 48/3 de la loi du 15 décembre 1980, après avoir estimé que les craintes invoquées à titre personnel par le requérant à l’égard du Hamas et des brigades Al-Qassam n’étaient pas fondées, le Conseil souligne tout d’abord que la question qui se pose en l’espèce est celle de déterminer si les conséquences de l’attitude et des agissements de l’Etat d’Israël à l’égard des Palestiniens de la bande de Gaza, indépendamment de la qualification d’apartheid que leur donnent plusieurs associations ou organisations internationales, s’assimilent à des persécutions au sens de l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève. A la suite de la note Nansen, le Conseil examine dès lors trois éléments, à savoir la présence d’un acteur de persécution, l’existence d’une persécution et la présence d’un critère de rattachement avec la Convention de Genève.
A défaut d’arguments des parties sur la possibilité de considérer l’Etat d’Israël comme étant, à l’intérieur des frontières de la bande de Gaza, « l’Etat » au sens de l’article 48/5, 1er, de la loi du 15 décembre 1980, le Conseil analyse l’existence d’une persécution au sens de l’article 48/3 de la loi du 15 décembre 1980.
A cet égard, le Conseil rappelle le contenu de ses arrêts rendus en chambres réunies en novembre 2019 et prend en considération les nouvelles informations factuelles qui lui sont soumises pour en déduire que si celles-ci dépeignent sans conteste une situation humanitaire générale qui place, dans la bande de Gaza, de nombreux gazaouis dans une situation de grande précarité, ainsi qu’une dégradation de la situation depuis 2019, ces mêmes informations ne peuvent être dissociées - et doivent par conséquent être lues conjointement avec - d’autres sources d’informations qui établissent que cette situation humanitaire générale n’impacte pas d’une manière équivalente l’ensemble des ressortissants palestiniens de la bande de Gaza. Il en conclut donc les situations humanitaires et sécuritaires qui déterminent actuellement les conditions de vie de la population palestinienne résidant dans la bande de Gaza ne permettent pas, même considérées conjointement, de caractériser l’existence d’une persécution de groupe à l’encontre de l’ensemble des membres de cette population.
A défaut, pour la partie requérante, de démontrer que la population palestinienne de la bande de Gaza fait l’objet de mesures, prises par l’Etat d’Israël, qui peuvent démontrer l’existence d’une persécution de groupe, ou que le requérant serait personnellement persécuté par l’Etat israélien, le Conseil considère que les agissements de l’Etat d’Israël, qualifiés d’apartheid par plusieurs organisations internationales, à l’égard de la population de la bande de Gaza n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 48/3 de la loi du 15 décembre 1980.
Sous l’angle de l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980, le Conseil constate que le requérant fait notamment valoir la situation sécuritaire qui prévaut actuellement à Gaza. Sur ce point, le Conseil ne conteste pas que la situation sécuritaire générale dans la bande de Gaza est très instable et volatile. Il constate que depuis la prise du pouvoir par le Hamas et l’installation du blocus israélien qui a suivi, la violence et l’insécurité persistent indéniablement, ainsi que les violations répétées des droits fondamentaux. Toutefois, au vu des informations lui soumises, il estime qu’il ne peut être conclu qu’il y a actuellement dans la bande de Gaza une situation exceptionnelle dans le cadre de laquelle la violence aveugle serait d’une ampleur telle qu’il existerait des motifs sérieux de croire que le seul fait de sa présence exposerait la partie requérante à un risque réel de subir des atteintes graves telles qu’elles sont visées à l’article 48/4, § 2, c), de la loi du 15 décembre 1980.
Il prend dès lors en en considération les éventuels éléments propres à la situation personnelle du requérant qui aggraveraient dans son chef le risque lié à la violence aveugle qui prévaut dans la bande de Gaza. Il constate que la motivation de la décision attaquée est muette quant à la question de savoir si l’emplacement spécifique du lieu de vie du requérant au sein de la bande de Gaza, élément spécifique invoqué par le requérant, est susceptible de constituer une circonstance personnelle qui l’exposerait davantage que les autres citoyens gazaouis à la violence aveugle qui y sévit mais estime qu’il ne dispose pas de suffisamment d’éléments concrets pour statuer sur ce point en toute connaissance de cause, et annule en conséquence la décision du Commissaire général (CCE 25 avril 2023, n° 288 029).